L’hydrogène blanc REPORTERRE

L’« hydrogène blanc », dont une forte concentration a été détectée en mai en Lorraine, est une nouvelle ressource énergétique qui attire. Reste à savoir si celle-ci est vraiment renouvelable et exploitable.

L’hydrogène naturel sera-t-il le nouveau pétrole ? Ce gaz, présenté comme un élément majeur de la transition vers la neutralité carbone, a la double vertu de pouvoir remplacer les énergies fossiles dans de nombreux usages industriels et de pouvoir être utilisé comme combustible pour générer de l’électricité, dans les transports notamment. Mais, jusqu’à présent, l’hydrogène n’était considéré que comme un « vecteur » énergétique. C’est-à-dire qu’il n’est pas une source d’énergie (comme le pétrole, le vent ou le soleil, dont on capte et exploite directement l’énergie), mais un élément qui permet de la stocker : on transforme de l’énergie en hydrogène, puis on transforme à nouveau cet hydrogène en énergie, dans le réservoir d’une voiture par exemple. Il faut donc en premier lieu produire ce gaz, dans des conditions généralement peu écologiques.

Depuis quelques années, toutefois, la donne commence à changer. Les chercheurs découvrent de plus en plus d’hydrogène naturellement présent en grandes quantités dans le sous-sol de la Terre, et ce sur tous les continents. Il constituerait ainsi une nouvelle source d’énergie décarbonée, accessible et plus que rentable. Les industriels promettent déjà un coût moitié moins cher que l’hydrogène produit aujourd’hui à partir d’énergie fossile (surnommé « hydrogène gris »), et même jusqu’à dix fois moins cher que « l’hydrogène vert », produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable.

Nouvelle ruée vers l’or ?

Surnommée « hydrogène blanc », cette nouvelle ressource énergétique est déjà exploitée depuis 2011 à Bourakebougou, au Mali. Ce premier, et pour l’instant unique, gisement d’hydrogène naturel en exploitation était même comparé en 2020 par Éric Gaucher, alors géochimiste pour TotalÉnergies, à Titusville. La ville de Floride est connue pour être le lieu du premier forage étasunien de pétrole, qui a déclenché la « ruée vers l’or noir » étasunien au XIXe siècle. La présence d’hydrogène dans les entrailles de la Terre a été identifiée par des chercheurs un peu partout : Oman, Nouvelle-Zélande, Philippine, Russie, Japon, Turquie, Chine, Italie… et France.

La dernière découverte en date a été annoncée par l’entreprise énergétique La Française de l’énergie (FDE) en mai dernier : une forte concentration d’hydrogène détectée via le puits de Folschviller, en Lorraine. La FDE effectuait là-bas un forage en collaboration avec des chercheurs de l’université de Lorraine et du CNRS, dans le cadre du projet Regalor, qui visait plutôt à trouver du méthane. Mais au fur et à mesure qu’ils enfonçaient leurs détecteurs dans les profondeurs, les chercheurs ont mesuré des taux croissants d’hydrogène dans le mélange gazeux : 0,1 % à 200 mètres, 6 % à 800 m, 17 % à 1100 m…

« Si on extrapole, on estime qu’on pourrait atteindre 90 % d’hydrogène à 3 000 m, même si ça reste à démontrer », s’enthousiasme Jacques Pironon, directeur de recherche au laboratoire GeoRessources de Nancy et l’un des coordinateurs du projet Regalor. Potentiellement, il y aurait ainsi dans ce gisement quelque 46 millions de tonnes d’hydrogène, soit plus de la moitié de la consommation mondiale actuelle.

Une forte concentration d’hydrogène a été détectée via le puits de Folschviller (ici en 2008), en Lorraine. © AFP / Johanna Leguerre

La promesse d’une énergie bon marché, facile à exploiter et décarbonée ouvre les appétits. Dans le Béarn, la société TBH2 Aquitaine a déposé en juillet 2022 une demande de permis exclusif de recherche de mines d’hydrogène et d’hélium, sur une superficie de 226 km². Quelques semaines plus tard, l’entreprise 45-8 Energy obtenait elle-même son permis exclusif de recherche dans le Doubs, où elle compte, entre autres, exploiter de l’hydrogène naturel, avant de partir en quête d’autres gisements en Europe.

Sommes-nous ainsi, en France comme ailleurs, à l’aube d’une nouvelle ruée vers l’or énergétique ? « L’état actuel des connaissances sur le comportement de l’hydrogène dans la croûte terrestre est trop limité pour envisager pour l’instant l’exploitation de cette ressource », tempéraient en 2019 dans un article des chercheurs de l’université de Grenoble. Deux questions essentielles restent notamment en suspens.

L’hydrogène blanc est-il renouvelable ?

La grande question dont découlent toutes les autres est celle de l’origine de cet hydrogène providentiel. Pour le gisement lorrain, l’hypothèse privilégiée est celle d’une réaction chimique d’oxydoréduction, qui libérerait l’hydrogène de l’eau (le H de H2O). « Le sous-sol est riche en sidérite, un minéral contenant du fer. En profondeur, la température peut atteindre ici 250 °C et il y a peu d’oxygène. Ces conditions sont favorables à la réduction de l’eau par la sidérite et la production d’hydrogène à cet endroit, depuis peut-être 100 millions d’années », estime Jacques Pironon.

D’autres mécanismes peuvent produire de l’hydrogène sous terre, comme la radiolyse : le rayonnement de roches radioactives peut casser les molécules d’eau présentes à proximité. Le mouvement des plaques tectoniques pourrait également libérer de l’hydrogène présent encore plus en profondeur, dans le manteau terrestre. « Il existe une liste à la Prévert des types de roches et de mécanismes qui peuvent générer de l’hydrogène. Mais cela s’affinera à 2 ou 3 réactions quand la science aura mieux compris le processus », juge Isabelle Moretti, géologue à l’université de Pau et des pays de l’Adour, et spécialiste mondiale de l’hydrogène.

 

Mais cette production est-elle un phénomène lent, accumulé au cours de millions d’années ou un mécanisme rapide et continu, qui permettrait de considérer la ressource comme renouvelable ? En laboratoire, de l’hydrogène est produit par oxydoréduction de manière très rapide, même en abaissant la température à 80 °C. « La réaction prend une semaine, c’est quasi immédiat à l’échelle géologique, ce qui laisse penser que la ressource est renouvelable », estime Isabelle Moretti. L’exemple du Mali abonde dans le même sens : en dix ans d’exploitation, la pression de gaz n’a jamais diminué, ce qui suggère que la ressource se régénère d’elle-même sous terre.

« L’existence d’hydrogène dans le sous-sol est établie, c’est déjà une étape importante par rapport à il y a quelques années. On a maintenant besoin de plus de forages et de connaissances pour comprendre l’origine et la puissance des flux », commente Yannick Peysson, en charge de la recherche et développement sur l’hydrogène et les sous-sols à l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles.

L’hydrogène blanc est-il exploitable ?

Car même s’il se renouvelle bien en permanence, le potentiel d’exploitation de cet hydrogène dépend des quantités disponibles : de la puissance des flux produits et/ou des réserves accumulées. « On connaît peu d’exemples d’accumulation et aucune n’est encore prouvée en France », rappelle Isabelle Moretti. Si la roche où est produit le gaz est trop perméable, celui-ci s’échappe au fur et à mesure dans l’atmosphère et peut être trop diffus et peu concentré dans le sous-sol pour être exploitable.

En Lorraine, l’association Apel57 s’oppose de longue date à la FDE, qui voulait y exploiter du méthane avant de s’intéresser à l’hydrogène. La compagnie avait tendance à surestimer légèrement la ressource disponible, évoquant 190 milliards de m³ de gaz présent, pour 2,1 milliards de gaz in fine certifiés, avant que le projet ne soit rejeté par le gouvernement, faute de preuve d’exploitabilité économiquement viable. « La communication exubérante actuelle rappelle celle sur le méthane. Rien ne dit que l’hydrogène ne connaîtra pas le même sort, c’est toute la différence entre une ressource et une réserve exploitable », souligne ainsi Daniel Schwartz, d’Apel57.

À l’échelle mondiale, l’estimation des réserves totales d’hydrogène est extrêmement complexe et sujette à caution. En 2020, un chercheur calculait le flux total d’hydrogène à 23 millions de tonnes par an. À comparer à la consommation annuelle d’hydrogène, estimée entre 70 et 90 millions de tonnes et qui devra être portée à 650 millions de tonnes en 2050 pour décarboner l’économie, selon un rapport des Nations unies. En termes de flux, l’hydrogène naturel resterait donc une solution très minoritaire face aux besoins énergétiques à venir. Quant aux stocks éventuels, il reste à déterminer leur volume et leur capacité à se régénérer pour répondre à une telle explosion de la demande.

Les estimations du volume d’hydrogène blanc caché sous terre pourraient toutefois être revues à la hausse avec la multiplication des projets de prospection. « Il y a beaucoup d’excitation et d’optimisme dans la communauté des chercheurs. Même si entre l’identification des ressources et leur exploitation effective, il reste encore des années de travail », conclut Isabelle Moretti. « Le temps de passer de l’exploration aux premiers projets pilotes, l’extraction industrielle viendra d’ici une vingtaine d’années », estime pour sa part Yannick Peysson. D’ici là, il aura déjà fallu décarboner et électrifier massivement l’économie mondiale ; l’Organisation des Nations unies (ONU) plaidant même pour la neutralité carbone des pays riches dès 2040. L’hydrogène blanc pourra, ensuite, rejoindre les énergies renouvelables, la sobriété ou l’hydrogène vert, comme nouvel outil parmi d’autres dans la palette des solutions à la transition énergétique.  Info / REPORTERRE

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