Il n’a jamais fait aussi chaud sur Terre qu’en 2023. Les répercussions de telles chaleurs sur les forêts françaises sont majeures, explique Jonathan Lenoir, du CNRS.
2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée sur Terre, dévoilait l’observatoire européen Copernicus le 6 décembre, dans l’effervescence de la COP28. Désormais, au tour de Météo-France de faire couler l’encre. Car, dans l’Hexagone aussi, les températures ont été hors normes.
Avec une moyenne annuelle estimée à 14,2 °C, l’année tout juste terminée devrait finir sur la deuxième marche du podium, à l’échelle nationale. « Un hiver doux », « un printemps en dents de scie », « une chaleur exceptionnelle en juin », « une fin août historique » et « un automne aux allures estivales ». Voilà comment l’établissement public résume les douze mois écoulés. Les répercussions de telles températures sur les forêts et la biodiversité qu’elles abritent sont considérables, explique Jonathan Lenoir, docteur ingénieur en sciences forestières, chargé de recherche au CNRS.
Reporterre — En 2022, la France découvrait l’ère des mégafeux, avec les gigantesques incendies survenus en Gironde. En 2023, années de tous les records, les forêts françaises ont plutôt échappé aux flammes.
Jonathan Lenoir — Certes. En revanche, elles ont subi de plein fouet les canicules à répétition et les sécheresses interminables. À cela s’additionne un dérèglement de la redistribution des précipitations. Autrement dit, si l’hiver peut être marqué par quelques épisodes pluvieux extrêmes, l’été, presque aucune goutte ne tombe du ciel.
En l’absence d’eau et sous de fortes chaleurs, certaines essences peuvent alors voir leurs feuilles jaunir et tomber précocement. Il s’agit d’un mécanisme de défense pour économiser l’énergie des arbres. Si l’année suivante, les conditions sont réunies, ils pourront reprendre leur croissance de plus belle et même rattraper leur retard.
Par contre, s’ils essuient deux ou trois années compliquées à la suite, cela les affaiblira gravement. Sans défense, ces arbres pourraient alors succomber aux attaques de leurs agresseurs, comme les champignons ou des pathogènes. Le coup de grâce.
Autrement dit, il ne faut pas que 2024 marche dans les pas de 2023.
Oui. Malheureusement, c’est ce vers quoi on se dirige. J’aimerais bien pouvoir dire que 2023 est une année exceptionnellement chaude, mais ce n’est pas vraiment le cas. Elle suit juste une tendance de hausse des températures déjà observée depuis des décennies. Il faut s’habituer à battre ces records de chaleur presque chaque année.
En octobre, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) constatait dans son inventaire une mortalité en hausse de 80 % en dix ans…
Oui. Le dépérissement forestier, c’est-à-dire la dégradation de l’état de santé des forêts, est un phénomène de plus en plus fréquent. Dans la forêt de Compiègne par exemple, au nord de Paris, certaines hêtraies montrent déjà des signes de faiblesse, face aux changements de conditions climatiques.
« C’est un cercle vicieux pour le stockage du carbone »
Et puis, au-delà des fortes températures et des questions hydriques, l’historique de la gestion forestière peut aussi jouer un rôle clé. Dans le Grand Est, des plantations entières d’épicéas ont été victimes de dépérissement. Pourquoi ? Parce que dans les années 1950, au lendemain de la guerre, ont été plantées des essences absolument pas adaptées au contexte climatique. À celui de l’époque, d’une part, mais encore plus à l’actuel, du fait du changement climatique.
Et qui dit plus forte mortalité des arbres, dit moins de stockage de carbone…
Exactement. Grâce à la photosynthèse, les arbres transforment l’énergie lumineuse en carbone et la stockent dans le bois. S’ils arrêtent ce processus trop tôt dans la saison pour se mettre au repos, à cause des fortes températures, leur bilan de stockage de carbone sera moins important. C’est un cercle vicieux.
On peut même aller plus loin : le stockage du carbone ne s’opère pas uniquement dans les troncs, les branches et les feuilles. Les sols forestiers y participent aussi. Or, si la canopée est altérée, la litière forestière devient directement exposée à la lumière et à la chaleur. Résultat, la dégradation de la matière organique s’accélère, tout comme le relargage de dioxyde de carbone par les décomposeurs. Tout le cycle du carbone est altéré.
Que devient la biodiversité locale dans toute cette équation ?
Si la canopée parvient à résister aux canicules et aux sécheresses, le sous-bois peut être maintenu à flot. En transpirant, l’arbre libère une certaine quantité d’eau qui humidifie le sous-étage. Il crée ainsi un microclimat, où les températures sont plus fraîches que hors couvert forestier. En d’autres termes, la canopée agit comme un bouclier thermique.
Toutefois, dès lors qu’elle succombe à la chaleur, la biodiversité qu’elle abrite se retrouve affectée. On observe d’ailleurs déjà des phénomènes de migration d’insectes, de mammifères et d’espèces végétales. En montagne, certaines essences migrent vers des altitudes plus hautes, en quête de températures plus fraîches. Mais ces migrations ne s’opèrent pas aussi vite que le changement climatique.
Des migrations assistées d’espèces commencent aussi à être testées. Les forestiers donnent un coup de pouce à celles-ci en les plantant plus au nord. Un déplacement qu’elles n’auraient pas pu réaliser seules… ou du moins, pas à cette vitesse. Cette démarche interventionniste risque toutefois de perturber l’écosystème en place. Quoiqu’il en soit, la solution la plus rapide et efficace pour soulager les forêts resterait de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C.