Le manque de neige s’aggrave en montagne REPORTERRE

Le manque de neige perturbe le cycle de l’eau. Conséquence : les risque de sécheresse augmentent. Explication en trois points.

Des pistes de ski couvertes d’herbes jaunes, presque verdoyantes, en plein mois de février. Les pénuries de neige qui frappent en 2024 certaines stations pyrénéennes, ainsi que des Vosges, du Jura et des Alpes, sont exceptionnelles. Elles préfigurent pourtant l’inéluctable recul de l’enneigement, qui va continuer de s’aggraver dans les montagnes françaises, sous l’effet du changement climatique.

Ce bouleversement inédit de nos paysages a pour conséquence, entre autres, de perturber fortement le cycle de l’eau. La baisse de l’enneigement peut ainsi contribuer à augmenter les risques de sécheresse… même si moins de neige ne signifie pas nécessairement moins d’eau. Explications en trois points.

1- La quantité et la durée de l’enneigement diminuent

Conséquence directe de la hausse des températures de l’atmosphère : il neige de moins en moins. Au Col de Porte, dans le massif de la Chartreuse, des données récoltées par le Centre d’études de la neige depuis 1961 sont sans appel : entre 1961 et 2020, l’épaisseur du manteau neigeux hivernal a diminué en moyenne de 38 cm.

Alpes du Nord, Alpes du Sud, Pyrénées : cette dynamique concerne tous les massifs. D’après l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, en fin de saison neigeuse, au 1er mai, nos montagnes perdent en moyenne 20 kg de neige par m2 et par décennie. Dans le détail, le recul est de 12 % par décennie dans les Alpes du Nord, 20 % dans les Alpes du Sud et 7 % dans les Pyrénées.

La situation dépend également fortement de l’altitude, y compris pour le futur. En basse et moyenne montagne, sous 2 000 mètres, l’enneigement diminue plus drastiquement qu’en haute montagne, où les températures restent plus souvent négatives. D’ici 2050, et « quel que soit le scénario de concentrations en gaz à effet de serre », les projections indiquent une réduction de 10 à 40 % de l’enneigement en basse et moyenne montagne, d’après Météo-France.

Pour les Alpes du Sud, une étude de 2017 du Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Grec-Sud) évaluait ainsi cette nette différence d’évolution selon l’altitude. Sous 1 500 m, les chercheurs anticipent une baisse de l’enneigement jusqu’à -50 % sur la période 2021-2050, par rapport à la période de référence 1961-1990. Au-dessus de cette altitude, la tendance serait « d’un peu moins de 20 % ». À plus longue échéance, dans les années 2080, la situation s’aggrave encore. Le massif du Mercantour pourrait, par exemple, ne plus avoir du tout de neige au sol 1 année sur 2, sous les 1 800 m, selon l’étude.

Enfin, notons que l’effet du changement climatique ne concerne pas seulement la baisse de la production de neige. Le réchauffement accélère également sa fonte. La durée de l’enneigement est ainsi déjà observée à la baisse, et celle-ci « se réduira d’environ un mois par degré de réchauffement », estime l’étude ClimSnow.

Une étude menée en 2021 sur l’avenir du Parc naturel régional du Queyras évalue ainsi que, sur ce massif, l’enneigement devrait diminuer de 23 % d’ici 2050. Mais aussi que la durée d’enneigement devrait reculer de trente jours à cette échéance.

Paradoxalement, toutes ces mauvaises nouvelles ne signifient pas que moins d’eau tombera sur les massifs…

2- La quantité totale de précipitations reste stable

L’eau aime bien la montagne. Alpes, Pyrénées, Vosges, Jura, Massif central et Corse sont les zones les plus arrosées de France métropolitaine, comme le montrent avec éloquence les cartes de Météo-France. Il tombe ainsi presque trois fois moins d’eau à Dunkerque (647 mm par an en moyenne) qu’au Grand-Bornand en Haute-Savoie (1 867 mm par an) !

Cela tient au fait que les montagnes bloquent les nuages, et à ce que l’on appelle le soulèvement orographique. En langage vernaculaire, cela signifie que lorsqu’une masse d’air humide bute sur une colline ou une montagne, elle est contrainte de monter en altitude. Cela la refroidit : or, l’air froid pouvant contenir moins d’humidité que l’air chaud, cette eau devenue encombrante est évacuée, sous forme de pluie ou de neige, selon la température.

Lorsqu’elle s’accumule dans les montagnes, sous forme de neige et de glace, l’eau forme un réservoir qui fond plus tard, et abreuve toute l’année les vallées environnantes. Raison pour laquelle on surnomme les Alpes le « château d’eau de l’Europe ». « Des bassins versants comme ceux de la Garonne ou du Rhône sont largement alimentés par les chutes de neige. Ces réservoirs sont très importants, car ils retiennent les précipitations l’hiver, puis les relâchent au printemps et en été quand on en a le plus besoin. La Durance, par exemple, a énormément d’agriculture irriguée dépendant de la neige », souligne l’hydrologue Simon Gascoin, chercheur au CNRS.

Avec le changement climatique, la neige diminue, car elle est de plus en plus remplacée par de la pluie. Mais le volume des précipitations qui tombe sur les massifs reste globalement stable. Les données historiques disponibles ne montrent aucune évolution notable dans le total des précipitations alpines.

Ce qui change, en revanche, c’est la saisonnalité de l’écoulement de ces eaux vers les vallées.

3- La perturbation du cycle de l’eau augmente les pénuries

La durée d’enneigement, on l’a vu, diminue. D’ici 2050, la baisse pourrait être de plusieurs semaines, selon Météo-France. Ce qui signifie que l’onde de fonte, c’est-à-dire le moment où la neige qui fond vient grossir le débit des rivières, se décale et intervient de plus en plus tôt dans l’année.

Cela perturbe considérablement les bassins versants habitués à dépendre de la neige. À la différence des cours d’eau alimentés uniquement par des pluies, ceux-ci sont caractérisés par des variations moins brutales des débits, et des crues (ou « périodes de hautes eaux ») qui adviennent plus tard dans l’année, au printemps.

« Lors de la sécheresse et des fortes chaleurs de 2022, le décalage de l’onde de fonte a été extrême dans les Pyrénées. Dans les bassins versants qui en dépendent, on a observé des pics de crue entre décembre et janvier, là où ils ont lieu habituellement en juin ! » témoigne Simon Gascoin.

Au-delà d’un tel cas extrême, un décalage progressif est inéluctable. Dans l’étude concernant le Queyras, les experts anticipent que le pic de fonte sera avancé d’un mois en 2050. Avec pour conséquence un « déphasage de l’onde de fonte » qui devrait entraîner une baisse de 20 à 30 % des écoulements entre mai et juin.

Autrement dit : même s’il tombe toujours autant d’eau annuellement, on en aura moins au moment où l’on en a le plus besoin, c’est-à-dire en printemps et en été lorsque la chaleur la rend décisive, notamment pour l’irrigation. « Non seulement le pic de fonte est décalé, mais nos modélisations prévoient aussi qu’il pleuve moins l’été à l’avenir et plus en hiver. Même si ces signaux sont faibles dans nos modélisations et qu’il faut rester prudent », précise Marie Dumont, directrice du Centre d’étude de la neige.

La baisse de l’enneigement a aussi des conséquences plus indirectes sur le cycle de l’eau. D’une part, parce que la neige réfléchit davantage la lumière que le sol nu : moins d’enneigement, c’est donc plus de rayonnement solaire absorbé, plus de chaleur et donc une rétroaction qui accélère encore la fonte de la neige. « Certains modèles montrent un tel effet, mais c’est là aussi encore très dur à quantifier », dit Marie Dumont.

D’autre part, parce que cette perte de manteau neigeux change aussi la manière dont la végétation se développe sur le sol. Une étude menée entre autres par le Laboratoire d’écologie alpine en 2021 a montré un « verdissement » en cours des Alpes. Une poussée de la végétation qui modifie à son tour le cycle de l’eau puisque les plantes vont pomper une grande partie de l’eau qui atteint le sol.

« Une autre étude sur le bassin versant du Colorado, aux États-Unis, a montré que la réduction de l’enneigement augmentait l’évapotranspiration : l’évaporation des sols et la transpiration des plantes. Ce qui signifie, même à précipitations constantes, moins d’eau disponible dans le bassin », appuie Simon Gascoin.

Pour les Alpes, un rapport de 2017 du réseau Alpages Sentinelles concluait que l’évapotranspiration avait augmenté de 8 à 13 % ces trente dernières années dans les Alpes. Faisant, à volume de précipitations constantes, chuter le bilan hydrique de 15 %.

L’importance à maints égards du manteau neigeux est telle que son affaiblissement entraîne l’émergence du concept de « sécheresse de neige », « sujet d’étude en plein développement », nous apprend Simon Gascoin. Décisives pour le cycle de l’eau et pour les activités humaines, notamment l’agriculture, ces sécheresses de neige sont une alerte de plus quant aux risques de pénurie et à l’urgence d’adapter nos pratiques.

Elles sont aussi une menace de plus pour les écosystèmes de montagne, où la neige joue un rôle primordial. « Même si l’on a moins de données là-dessus, déplore l’hydrologue. C’est un domaine moins financé puisqu’il soulève moins d’enjeux économiques. »

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