Tèrra del Larzac REPORTERRE

l y a 50 ans, paysans et « chevelus » se lançaient dans une opposition devenue historique contre l’extension du camp militaire du Larzac. Aux Résistantes de 2023, ils et elles racontent à Reporterre leurs luttes sur le plateau.

Du 3 au 6 août, près de 150 collectifs des luttes locales de France se réunissent au Larzac. La rédaction de Reporterre est sur place pour vous faire vivre ce rassemblement historique.


La Couvertoirade (Aveyron), reportage

Tèrra del Larzac
Dubèrta als quatre vents
De la revòlta
Coma las alas d’un molin.

« C’est un poème occitan qu’on pourrait traduire par : Terre du Larzac, ouverte aux quatre vents de la révolte comme les ailes d’un moulin. » Les vers déclamés semblent on ne peut plus opportuns. Sur le causse du Larzac, ce vaste plateau calcaire du sud de l’Aveyron, le vent décape les champs de blé fraîchement moissonnés.

Parmi les milliers de militants qui y déambulent, au milieu des tentes, tonnelles et chapiteaux installés pour le rassemblement Les Résistantes, on discute poésie avec Christian Roqueirol.

Le vieux militant est un archétype local : visage de berger tanné par des décennies de soleil, encadré d’une crinière, cheveux et barbe fournie, d’une blancheur impeccable.

Ses yeux surtout, sont d’une douceur désarmante. Littéralement. Car Christian est un objecteur de conscience : de ceux qui, antimilitaristes acharnés, refusèrent de faire leur service militaire dans les années 1970.

En 1975, il a débarqué à l’âge de vingt ans dans le Larzac, avec son vélo et son sac pour seules richesses, attiré par la lutte qui se joue ici contre l’armée. Depuis 1971, des paysans s’y rebellaient contre l’État, qui voulait racheter les terres pour étendre un camp militaire.

Un âpre combat de dix ans et une victoire emblématique des luttes écolos, soldée après l’élection de François Mitterrand à la présidentielle de 1981, qui a tenu sa promesse d’abandonner le projet d’extension.

Christian, lui, n’est plus reparti. Après des années à occuper les fermes rachetées par les militaires — « on nous appelait squatteurs mais, en gros, c’étaient les premières zad » — il s’est installé comme éleveur de brebis, a participé à la création de la Confédération paysanne et s’est enraciné dans l’effervescence paysanne et militante du Larzac.

Du camp militaire aux Faucheurs volontaires

Cinquante ans après le soulèvement des paysans, une aura de prestige enrobe toujours le plateau. C’est aussi sur le causse qu’est né en 2003 le mouvement des Faucheurs volontaires d’OGM, à l’issue d’un rassemblement altermondialiste qui avait réuni plus de 200 000 personnes.

En 2023, les héritiers de ces luttes n’ont pas convergé ici par hasard. Encore traumatisés par la répression violente de la mobilisation anti-mégabassines de Sainte-Soline, les militants cherchent dans les vents de la révolte la manière de renouer avec la victoire. Une poignée de vétérans, garants de la mémoire et de l’esprit du Larzac, offrent à qui les écoutent quelques leçons du passé.

Le Serment des 103

Léon Maillé fait partie de ces témoins historiques. On le rencontre sous un chapiteau au détour d’une projection du Serment des 103, riche documentaire de Véronique Garcia qui relate la décennie de lutte du Larzac.

Éleveur de brebis sur le causse de père en fils, Léon est l’un de ces « 103 » agriculteurs qui ont prêté le serment le 28 mars 1972 de ne jamais vendre leur terre à l’armée. « Signer cet acte à l’écrit a permis de cimenter la lutte. On a connu de longues suites de déboires, victoires et défaites. Je ne crois pas qu’on aurait tenu si on avait su à l’avance que ça durerait dix ans ! »

Les paysans ont été surpris d’être rejoints par de milliers de « chevelus », à l’instar de Christian Roqueirol. De jeunes militants issus de multiples courants post-68, avides de nouvelles batailles à mener ou poussés par les idéaux néoruraux : pacifistes, antinucléaires, écologistes, gauchistes, maoïstes, trotskystes…

« Tous ces types étaient bizarres, des végétariens, des non-violents, on savait pas ce que c’était… Mais ils venaient nous aider. Quand tu te noies, tu regardes pas la gueule du mec qui te jette la bouée », philosophe Léon Maillé qui, lui, était quelqu’un de « normal » : « Comme tout le monde ici, j’étais de droite et j’allais à la messe tous les dimanches quoi… »

« J’ai sur moi de quoi payer mille camarades pendant un mois »

L’humilité des nouveaux arrivants et l’organisation collective qui veillait à laisser le contrôle du mouvement aux paysans a permis à la mayonnaise de prendre. Des comités Larzac se sont montés en France, servant de relais dans l’opinion, des liens se font avec les ouvriers, notamment des milliers de Lip, les grévistes de cette usine horlogère qui ont rejoint des actions sur le plateau.

L’argent affluait — notamment pour construire illégalement les bergeries dont l’État ne voulait pas — financé majoritairement par les refus de payer l’impôt. « Les prêtres du coin nous aidaient, on cachait les sommes récoltées dans les églises. Un jour, un gars qui faisait la tournée pour récupérer l’argent m’a dit : j’ai sur moi de quoi payer mille camarades pendant un mois », se rappelle Léon.

Non-violence et planches cloutées

De l’avis général, ce qui a fédéré la lutte et permis la conquête de l’opinion, c’était le consensus d’action sur la non-violence. Ce qui n’empêchait pas l’opposition radicale à l’armée : des planches de clous posées sur le chemin des camions militaires, aux « guerres de tranchée » menées lorsqu’il a fallu creuser et couper une route nationale au détriment des gendarmes pour amener l’eau courante jusqu’aux fermes…

Christiane Pinet avait 36 ans lorsqu’elle s’est installée dans le Larzac, en 1971, comme artisane tisserande. « La première dans la région. À l’époque, on était onze habitants à l’année à la Couvertoirade », se souvient-elle lorsque Léon Maillé nous conduit jusqu’à chez elle, à cinq minutes des Résistantes.

« On est entré sans rencontrer personne et on a tout déchiré »

« Un jour, on me téléphone parce qu’il fallait quelqu’un pour aller voler des papiers d’expropriation à la mairie. J’y suis allé avec une agricultrice, on est entré sans rencontrer personne et on a tout déchiré », raconte-t-elle.

L’État étant tout de même décidé à exproprier les paysans de leurs terres, un juge de l’expropriation est un jour venu jusqu’à la Couvertoirade. « Il n’est pas allé bien loin, on a bloqué la route et on l’a forcé à faire demi-tour », relate Christiane.

Les interactions avec les forces de l’État étaient malgré tout relativement apaisées. Christine Thelen a rejoint la lutte sur le tard, en 1977, arrivée de Belgique comme bergère. Mais elle se souvient d’un contraste saisissant avec l’ambiance actuelle : « Les policiers n’étaient pas habillés comme des robocops, ils étaient bien moins lourdement armés qu’aujourd’hui et on pouvait leur parler, il y avait bien plus de respect des manifestants qu’aujourd’hui. »

Léon se souvient même d’une certaine connivence qui pouvait se nouer entre les acteurs du plateau. « Quand on est allé en prison, on était toujours trimballés par les mêmes gendarmes, on les connaissait un peu à force. Trois ou quatre semaines plus tard, l’un d’eux est passé nous voir, avec sa caravane et ses enfants en vacances ! Il nous avait trouvé sympas… »

« On avait la consigne de bloquer la route mais toujours sans arme »

Sous la tonnelle des Faucheurs volontaires, nous rencontrons Fernand Odon, adepte aujourd’hui de la désobéissance civile, et qui à l’époque était… militaire. « J’avais 17 ans, je pensais pas grand-chose… Mais tout s’est toujours passé de manière apaisée. Quand on entendait les militants arriver en chantant, on avait la consigne de bloquer la route mais toujours sans arme, pacifiquement. Ça m’a travaillé après coup… »

Un tel consensus non-violent serait-il encore tenable aujourd’hui ? Tous les vétérans croisés sur le causse témoignent de leur désarroi face au durcissement de la réaction des forces de l’État.

« Je reste non-violent, mais je comprends la rage des militants »

« On a gagné grâce à la non-violence, mais je ne suis pas sûr qu’on aurait pu s’y tenir face aux flics d’aujourd’hui. Je reste fondamentalement non-violent, mais je comprends la rage des militants face à l’urgence. Il ne faut jamais oublier que la première violence est celle de l’État », dit Christian Roqueirol.

« L’État a des armes qu’on n’a pas, si on va à l’affrontement, ils seront toujours plus forts. Il faut jouer sur l’effet de surprise pour mener des actions en contournant la répression », estime de son côté Christine Thelen.

Un autre élément déterminant fut un atout clé pour tenir dans la durée : la joie. « Chaque manif, chaque action de terrain, on finissait par un pique-nique ou quelque chose de festif, dit Christian Roqueirol. On n’était jamais triste, c’était comme une grande famille. C’est aussi ça qui m’a fait rester.    Info / REPORTERRE

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